Le matin du 5 juillet nous descendions de Maraval pour aller à
la place des Victoires et dans le bus qui nous descendait, nous étions
ma belle-sur et moi avec mon fils Thierry de deux ans à l'époque.
Les arabes nous disaient que nous n'avions rien à craindre d'eux,
mais que s'ils attrapaient les flics ils leurs feraient la peau.
Arrivés place d'Armes nous avions un attroupement mais nous avons
continué notre route vers la place des Victoires, rue Béranger
exactement. Vers 11 heures du matin, quand nous devions reprendre la route
pour rentrer à Maraval, nous avons entendu tirer de tous les côtés.
Sur les fenêtres et les balcons les balles pleuvaient de tous les
côtés et cela a duré assez longtemps ; cela m'a semblé
des heures. Ensuite des voitures avec haut parleurs signalaient le couvre
feu.
Nous sommes restés rue Béranger jusqu'à environ 15h.
Nous avons pris notre courage à deux mains et nous avons traversé
la ville en sens inverse pour rentrer chez moi à Maraval. Et là
, l'horreur ; il y avait des flaques de sang un peu partout et nous ramassions
les douilles vides à pleines mains. Nous avons continué
notre chemin sans nous retourner et avec une peur immense, surtout qu'il
y avait les gardes mobiles qui nous regardaient, et quand on leur a demandé
de nous ramener chez nous, ils nous ont dit qu'ils ne devaient pas bouger.
Arrivés vers le cinéma Rex nous avons vu un attroupement
d'arabes et des gens qui pleuraient et criaient qu'ils ne voulaient pas
monter dans les camions, qu'ils ne voulaient pas mourir . Et là,
je me suis mise à trembler de peur et je serrais mon fils très
fort dans mes bras. Deux arabes se sont approchés de nous et nous
disaient de rentrer dans le cinéma. A ce moment là un autre
arabe qui nous connaissait du village nègre s'est approché
des deux autres et leur a dit de nous laisser passer, qu'il nous connaissait.
Nous avons continué la rue de Tlemcen sans nous retourner car il
y avait des enfants pas plus agés de 14/15 ans armés jusqu'aux
dents et nous sommes rentrées chez moi, il était 7 heures
du soir.
Le lendemain nous avons eu des échos : beaucoup de gens avaient
été " exangués " par le Dr Laribère
et qu'ils avaient été mis dans une fosse vers le petit lac.
Je peux dire que le jour du 5 juillet, ma belle-sur, mon fils
et moi avons eu une sacrée chance.
Voilà, c'est ce que j'ai vécu ce fameux jour.
Bernadette
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