Je fais un effort considérable pour vous
écrire.
Le 5 juillet, date inoubliable pour nous, Oranais
et Oranaises.
Une des premières victimes qui était
au restaurant fut Madame Levy née Emelie Benkemoun; elle
avait 7 enfants qu'elle avait laissés à Paris, chez
sa belle-mère. Elle était venue à Oran pour
prendre quelques affaires précieuses. Elle et son
mari étaient venus faire les adieux à sa sur,
ma belle-fille, qui les avaient invités à déjeuner
du "merot au Kesbor", elle a refusé pour manger
au restaurant, en amoureux, avec son mari.
Hélas, le destin lui a été
fatal. Les premières balles furent pour elle; son mari s'est
jeté sur elle, c'est ce qui l'a sauvé. Il est revenu
chez moi, affolé, en me criant : "On a tué ma
femme". Inutile de vous décrire la scène déchirante
qui s'en est suivie. Nous étions bouleversés, et je
crois bien que c'est ce crime épouvantable qui nous a fait
partir d'Oran.
Aujourd'hui, 14 juillet, j'ai regardé le
défilé. C'est surtout la Légion que je voulais
voir, ce régiment d'élite qui faisait, à Sidi-Bel-Abbès,
la gloire de l'Algérie Française. J'ai eu le cur
serré et j'ai pleuré tout ce que j'ai pu.
Adieu, mon pays que je ne reverrais plus, et mon
chagrin est toujours présent.
Je m'arrête, mes yeux sont pleins de larmes. Je vous embrasse
avec toute mon affection.
Mme Benhamou
---==oOo==---
Cette lettre m'a été écrite le 14 juillet 1997.
Cette dame âgée, fidèle lectrice de l'Echo de
l'Oranie, est devenue, par téléphone une amie très
chère. Je ne crois pas que l'on puisse lire son témoignage
sans émotion.
Malheureusement, je n'ai pu lui faire préciser le nom du
restaurant où cette jeune femme a été tuée.
Son nom, relevé dans la liste des morts européens
à l'hôpital civil d'Oran, parue dans l'Echo d'Oran
du 6 au 9 juillet 1962, est signalée dans le premier tome
de l'Agonie d'Oran, page 212. Et annexe II, page 310.
G.de Ternant
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