TEMOIGNAGE de Michel La PERNA


En mai 1962 j' étais militaire appelé sous les drapeaux et affecté au 28° train à Oran. La caserne (trois quartiers) qui abritait aussi un autre corps de troupe était située entre la vieille et la nouvelle ville; l'un de ses côtés donnait d'ailleurs sur la vieille ville.

Lors de cette tragique journée du 5 juillet, j' étais de garde depuis la veille; les Algériens, en liesse, fêtaient l' indépendance de l' Algérie depuis 48 heures; les rues de la ville et surtout celles qui entouraient la caserne étaient envahies par une foule en délire.

Dans la matinée du 5 juillet, j' étais en faction sur l'un des postes de garde quand tout à coup un coup de feu retentit; dans la seconde qui a suivi d' autres coups de feu et le crépitement d' armes automatiques ont retenti et des cris d' horreurs mêlés à des invectives de masse montaient de cette foule. Je ne comprenais pas encore ce qui se passait car en quelques minutes cette masse humaine qui emplissait la ville avait été soudain terrifiée, paniquée. De mon poste de garde qui se trouvait sur l'un des murs d' enceinte de la caserne je voyais ces hommes, ces femmes courir dans tous les sens et quelques instants plus tard des informations nous parvinrent nous précisant qu' un carnage se déroulait dans la ville, qu' une chasse aux Européens était en train de donner lieu à une véritable tuerie.

Dans les heures qui ont suivi le début de cette explosion j' ai vu passer de petits groupes d' Algériens emmenant manu militari des Européens dans la vieille ville. Ces mouvements se répétaient de façon continue et à un moment de l' après-midi, alors qu'un énième petit groupe passait devant la porte principale de la caserne en entourant un Européen et sachant pertinemment que ces hommes ne sortiraient plus jamais vivants de ce quartier; n' en pouvant plus je demandais à mon capitaine, officier de permanence, qui se trouvait au poste de garde, de m'autoriser à sortir pour récupérer cet homme. Cette action me paraissait d'autant plus facile que les Algériens qui entouraient cet Européen n' étaient apparemment pas armés alors que moi je disposais d' un pistolet mitrailleur; le refus du capitaine fut catégorique et il m' ordonna la mort dans l' âme, visible sur lui, de ne pas bouger. Je vis ce groupe d' hommes
s' éloigner de moi alors qu' il était passé à quelques mètres; ceci n' était plus supportable.

En fin d' après-midi vers 18 heures un groupe d' hommes vint frapper à la porte de la caserne; c' était un groupe de 6 à 700 Européens qui déclarèrent avoir échappé miraculeusement au massacre et demandaient asile pour la nuit car ils avaient trop peur de rejoindre leur destination première; il s' agissait d' hommes essentiellement qui, pour certains, avaient laissé leurs femmes et leurs enfants sur les quais du port en attendant les embarquements et s' étaient rendus au centre ville pour y faire les derniers achats. Ces 700 Européens nous racontèrent la tuerie de même qu' ils nous précisèrent que les camions de
L'A L N avaient emmené d' autres Européens par dizaines vers des destinations inconnues. Tous ces gens ont passé la nuit à la caserne et le lendemain un officier demanda 2 volontaires pour raccompagner tous ces hommes; je fus l'un de ces 2 volontaires à qui on avait généreusement attribué un camion pour transporter ces malheureux complètement terrorisés. Moi qui n'avait que 21 ans je me trouvais devant des hommes qui avaient vécu la deuxième guerre mondiale et qui m'imploraient de les accompagner, parfois jusqu' à l' étage où ils habitaient tellement ils avaient peur.

Ceci est le récit de cette journée du 5 juillet et 44 ans après j' en garde un souvenir douloureux.

 
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