Témoignage de Pierre ASNAR
 


Callian le 05/07/2008

Monsieur,

Pour faire suite à notre récent entretien téléphonique, je vous confirme ce que j'ai vécu après le 4 juillet 1962, date à laquelle j'étais à ORAN.

Mon oncle, prisonnier par un commando du FLN, a été conduit au stade Monréal ou les Européens étaient exécutés, il doit la vie sauve grâce à un arabe avec qui il avait joué au football au club du FC Choupot.

Le 5 juillet j'avais rendez-vous à 15 heures avec cet oncle pour le " récupérer " et l'emmener vivre avec mon beau-père et moi-même au domicile de mes beaux-parents situé aux Castors Familiaux de Maraval. Par chance ce jour là, je me suis reposé après le déjeuner, et fatigué par un manque de sommeil (la peur et je pensais à mon épouse et mon bébé, en France depuis le 1i° juin, que je croyais ne jamais plus revoir) je me suis endormi et présenté au RDV à 16 heures.

Je trouvais mon oncle dans un état physique qui est difficile de décrire : il me dit qu'à 15 heures on frappait à sa porte, croyant à ma présence, il ouvrait et trouvait face à lui 2 FLN en treillis et armés, au même moment une jeep avec à son bord des militaires français (c'étaient en fait ce qu'on appelait des Gardes Rouges) assistaient et ignoraient le drame qui allait peut être se passer. A aucun moment ils ne sont intervenus. Mon oncle étant donné son âge et sa corpulence (de petite taille et très maigrichon) un FLN a dit à son collègue : laisse tomber il est " chibani " ce que l'on cherche : les jeunes ils sont de l'OAS et il faut les tuer. Si à 15 heures j'étais chez lui, j'avais 25 ans, je ne pense pas qu'aujourd'hui j'aurais raconté cet épisode. Après avoir récupéré quelques unes de ses affaires, nous retournons aux Castors Familiaux et attendons on ne sait quoi.

Le 9 juillet miracle : un jeune Lieutenant et ses hommes, désobéissant à leurs supérieurs nous demande de rassembler rapidement quelques affaires, le temps de faire le tour de la cité des Castors pour prévenir d'autres personnes. Le lieutenant forme un convoi avec un Half-Track à l'avant, un autre à l'arrière, et entre les deux ses hommes en jeeps et les quelques civils récupérés dont mon Beau-père, mon Oncle et moi-même. On traverse tout ORAN et direction le port qui était encore sécurisé par des militaires (des PURS).

Aux quais du port des bateaux dont un dont un que je n'oublierai jamais : le SS AMIENOIS de la CBVM (Compagnie des Bateaux à Vapeur du Nord). Ce bateau rapatriait le personnel de la dite compagnie. A la passerelle je voyais un collègue de travail de l'Arsenal de Tafaroui qui me dit de monter à bord : le Pacha du bateau " fermait les yeux ". Nous montons à bord et quelque temps après 80 policiers arrivent en trombe, montent sur le bateau et se cachent dans les cales. Leurs adresses avaient été communiquées au FLN par des autorités de notre " mauvaise " armée française. Quant aux autres policiers d'ORAN ?????

Le bateau lève l'ancre vers 20 heures le 11 juillet. Quelle tristesse de voir son pays s'éloigner à tout jamais (en ce qui me concerne j'en suis persuadé) mais quel soulagement d'avoir échappé à un massacre et d'avoir la vie sauve.

Quand je pense à ce jeune Lieutenant, que je n'ai jamais revu et dont j'ignore le nom, J'AURAI TANT AIMER LE REMERCIER DES MILLIERS DE FOIS. Une fois en mer, le commandant du bateau demande, par haut-parleur, aux clandestins de se faire connaître afin de leur souhaiter la bienvenue à bord et de leur faire servir un repas puis une distribution de couverture ( la nuit est fraîche en mer). En ce qui me concerne c'était ma première nuit à dormir dans une cale de bateau, mais qu'elle nuit paisible et de tranquillité. UN GRAND GRAND MERCI COMMANDANT.
Le 13 juillet arrivé à SETE ; le cauchemar est terminé.

Voila la fin de ce dont nous avions ébauché au téléphone.
Coïncidence aujourd'hui 5 juillet : 46 ans après

Sincères Salutations d'un PIED NOIR : Pierre ASNAR

 
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