Témoignage recueilli par Maurice BRUNETTI, neveu de Monsieur Louis-Jacques DOMENEGHETTY avec l'autorisation de ses enfants.
 

Il s'agit d'un courrier manuscrit de 4 pages écrit les 3 et 4 juillet 1962 par Monsieur Louis-Jacques DOMENEGHETTY à ses sœurs repliées en Métropole. Il était Directeur général de l'aéroport civil de La Senia.

A l'instar de quelque deux à trois milliers de martyrs oranais, il a été enlevé le lendemain, 5 juillet 1962, alors qu'il se rendait de son domicile du faubourg Maraval sur les lieux de son travail où il considérait sa présence indispensable pour organiser le départ vers la Métropole de centaines de personnes contraintes à l'exil.

 

Ce document, criant de vérité spontanée, est on ne peut plus éclairant de la situation désespérée d'une population aux abois, contrainte à un exil précipité et lâchement abandonnée, sans vivre ni soin, à la merci des hordes déchaînées, sur le tarmac d'un aéroport de province.
On y voit les conditions inhumaines du départ précipité des Pieds-Noirs abandonnés par la gouvernement gaulliste de l'époque et livrés à la barbarie du F.L.N.

DRAME OCCULTÉ ET TOUJOURS PRÉGNANT DE TANT DE VIES A JAMAIS ÉVAPORÉES !

 

 

Oran, le 3 juillet 1962

 

Chers tous,

Aujourd'hui c'est la fête nationale de l'indépendance. Le drapeau vert et blanc flotte sur tous les édifices publics à l'exception cependant de l'Aéroport qui est encore sous protection militaire. Je viens de faire partir un nouvel appareil de mon administration qui rapatrie les familles du personnel, et avant de me plonger dans la fournaise je viens vous consacrer quelques minutes.

J'ai bien reçu vos lettres (Léonce et Fernande) et me réjouis de vous savoir tous en excellente santé, car je pense que ma grande sœur remonte un peu le courant, mais il nous faut à tous du courage pour faire face aux événements. Mon aérogare est devenu un immense caravansérail où l'on ne distingue plus les gens dans l'amoncellement des bagages. L'hygiène laisse évidemment à désirer et l'administration nous oublie totalement. Le colonel responsable de la Base Aérienne ne peut pas grand chose hélas. Heureusement que j'ai pu obtenir du concours du Secours Catholique ainsi que les Religieuses de l'hôpital. Nous avons pu ainsi réaliser une nursery ainsi qu'une salle pour malades et vieillards. C'est loin d'être un rêve mais c'est un semblant d'oasis. Le docteur et madame MALMEJAC ainsi que la Croix Rouge nous sont également d'une grande utilité. Quelques docteurs viennent aussi tour à tour nous apporter leur concours. Mais tout cela est pitoyable à voir et l'on termine ses journées fort tard et le cœur bien gros.

Samedi cela faillit une fois de plus tourner au tragique. Les musulmans serveurs des wagons-lits débordés, ont tout planté là et sont partis. Plus de ravitaillement, sandwichs sodas etc. Il m'a fallu faire face à une situation désespérée et ai pu obtenir une corvée de 20 hommes de la Base Aérienne. Puis c'est le pain qui fit défaut, le boulanger n'étant plus approvisionné en farine. On en demande à Paris à Bordeaux d'où nous attendions des avions. Chaque jour pose un problème nouveau, et qui n'a rien à voir avec nos fonctions officielles.

Dès lundi prochain, les avions partiront comme autrefois sur réservation; de l'ordre sera donc mis à tout cela. Il faut dire que la date, au plus tôt le cap du 1° juillet étant dépassé, l'affolement des gens s'amenuise. En fait, nous avons eu droit à quelques défilés des musulmans drapeau vert et blanc en tête, avec cris et klakson "Algérie yaya".

Des comités se sont créés afin d'obtenir une coopération raisonnable. Des autorités civiles et religieuses en ont pris la tête. Cela évitera sans doute la ruée qui était à craindre. Les arabes reparaissent un peu partout. Si des chantiers de travaux étaient ouverts cela arrangerait bien des choses. Nous verrons comme l'on dit si cela durera longtemps? Maintenant que le torchon brûle entre les membres du GPRA et l'ALN.

De Montpellier, de rares nouvelles les lettres mettent un temps infini à nous parvenir. Mais Louis-Claude a réussi cependant à téléphoner de chez les ALBA où le téléphone a été rétabli. Josy et le Petit sont à Poissy chez leur oncle. Vous avez je pense l'occasion de les voir un de ces jours. Notre malade est en convalescence en Espagne où il fait une cure de repos et il en avait bien besoin. Il y a quelques jours que je n'ai vu marraine et passerai prendre de ses nouvelles avant d'expédier la présente.

Marraine va bien et se trouve toujours à la villa qu'elle n'a guère envie de quitter. Pour le moment, Choupot est assez calme.
Votre Jacques. (Cette phrase a été écrite le 4 juillet, la veille de sa disparition)

A vous tous, j'adresse mes plus affectueux baisers

 
 
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