Date: mardi 13 mai 2003 21:08
J'ai vécu cette journée terrible et qui restera gravée
à tout jamais dans mon esprit. Mon père et mon frère
étaient partis chercher des billets de bateau au port. En revenant
ils sont passés par la rue d'Arzew où se trouvait la caisse
d' Epargne(mon père dirigeait le bureau d'Eckmül):la boulangère
voisine du bureau en le voyant s'est écriée : "votre
collègue, un arabe que nous connaissions et fréquentions
est venu, il vous cherchait et sur le camion il y avait plein de cadavres
pendus à des crochets de boucherie". Très étonné
mon père avait du mal à le croire mais le sang répandu
dans la rue donnait raison à la commerçante qui se mit à
hurler "les revoilà".
Mon père vit arriver un camion avec des hommes et des femmes hurlant
brandissant des drapeaux algériens, avec mon frère de 12
ans ils se cachèrent chez la boulangère; quand le silence
revint mon père essaya de voir ce qui se passait: du sang partout,
des cadavres mutilés; nous habitions à la place Gambetta
et ma mère, mon frère de 6 ans et moi 14 ans étions
seuls. En entendant les cris, les you- you et en voyant passer les camions
d'où le sang dégoulinait nous avons attendu que les camions
disparaissent, nous avons fermé les volets et nous nous sommes
cachés en tremblant chaque fois qu'on les entendait revenir et
ce, jusqu'en fin d'après-midi où les gardes mobiles qui
nous tiraient dessus quelques jours avant, sont passés avec des
porte-voix en disant qu'ils venaient à notre secours ce que nous
avions du mal à croire. Prudemment nous avons risqué un
oeil à travers les volets et le calme semblait revenu. Dans la
nuit mon père et mon frère qui avaient couru et s'étaient
cachés sont arrivés très inquiets de notre sort.
Là, les nerfs ont lâché et je me revois encore pleurant
et serrant mon père en larmes lui aussi. Le lendemain à
la première heure nous avons fui et avons résidé
dans un hôtel place de la Bastille, je crois, en attendant le bateau
qui arriva avec un jour de retard suite à la grève
des dockers de Marseille.
Jamais je n'oublierai cette nuit, serrés les uns contre les
autres écoutant les you you que le vent rendait proches; je ne
peux pas les entendre encore aujourd'hui sans trembler de tous mes membres.
Je voudrais tant qu'on reconnaisse cette date et qu'on se souvienne.
Geneviève Sermet-Brunel
|