Nice-Matin du 7/10/2004
Rapatriés d’Algérie : La mort se réinvite par courrier

Viviane Pinto-Ezagouri a appris par courrier, sans préparation, sans un mot de condoléances ni de réconfort, les circonstances terrifiantes de la mort de son père, le 5 juillet 1962, à Oran. Le voile est levé sur les archives. Elles méritent d'être maniées avec précaution.

1/6/1963 - Oran : « Probablement égorgé, cadavre jeté dans le four d'un bain maure (témoin européen anonyme). »

C'est en recevant le 24 août 2004 ce rapport établi le 21 août 1963 par les délégués du Comité International de la Croix-Rouge, que Viviane Pinto-Ezagouri s'est vue confirmer la mort de son père, enlevé il y a 42 ans à Oran, lors du massacre du 5 juillet. Les détails en plus.

Adressé par le ministère des affaires étrangères - qui, sous la pression des familles des disparus et de la mission interministéielle aux Rapatriés, commence à lever le voile sur ces dossiers – ce courrier a fait une irruption traumatisante dans la vie de ce couple d'Oranais, installé à Marseille depuis 1962. Froid comme une circulaire administrative, sans un mot de condoléances pour l'accompagner. Si, comme beaucoup de rapatriés aujourd'hui, Viviane et Henri entretenaient le projet de retourner à Oran, tout a pris fin le 24 août dernier à la lecture des constatations des délégués du CICR.


C'est pourtant Viviane qui informée de la possibilité d'accéder aux archives, avait sollicité par courrier le Quai d'Orsay, pour connaître enfin la vérité sur la disparition de son père dont elle n'a « jamais fait le deuil ». Un mois plus tard, elle recevait une lettre l’informant qu ‘elle trouvera « ci-joint copie des documents conservés à Paris ».

Suit l’habituelle formule de politesse. « Ci-joint... » c'est la terrible formule « probablement égorgé... » qui répond enfin à 42 années d'interrogation. Viviane revit ce jour terrifiant. « On allait de bureau en bureau, de l'hôpital à la morgue dans l'indifférence générale, on nous empêchait d'accéder au stade où étaient parqués les prisonniers, souvent blessés. On avait face à nous un mur de béton... » rappelle Viviane Pinto-Ezagouri.


Elle errait alors à la recherche de son père, Joseph Pinto, représentant de commerce, qui avait quitté l'appartement familial du 10 de la rue Léon-Djian, tourné à droite, et n'était Jamais revenu.

Aujourd'hui, selon ce même rapport, elle apprend que l'enlèvement a eu lieu à 15 h 30 à hauteur du 18. Gaston Pinto, l'oncle de Viviane, son frère Wilfrid, établi désormais à Cagnes-sur-Mer, avaient tout de même réussi à porter plainte et à signaler la disparition. Pour savoir. En vain.

En 1970, la famille Pinto a même reçu un courrier officiel indiquant : « aucune trace de votre père. » 42 ans plus tard, la réponse arrive. Viviane Pinto s'effondre.
Elle ne croyait pas au miracle. Mais ce rappel brutal des faits la terrasse. Elle crie sa peine au ministère qui reconnaît que la manière n'était guère appropriée. « Mais sans plus. Ils ne se sont pas rendu compte combien ça pouvait faire mal » dit-elle.

Il faut un psychologue

A notre connaissance, il n’y a pas eu d’autres courriers de ce type. C’est déjà un de trop, même au regard des 3192 noms recensés et annoncés aujourd’hui au Quai d'Orsay, après des années d'atermoiements. Au congrès de l'ANFANOMA, le 25 septembre dernier, à Pierrelatte, un représentant du ministère a évoqué une erreur en précisant qu'un « psychologue devrait préparer les personnes concernées à recevoir pareils documents d'archives. »

« Depuis je pleure... » lâche Viviane Pinto-Ezagouri, rencontrée à la Maison des Rapatriés de la rue Paradis, à Marseille. Elle pleure et se souvient de 'cette terrible journée du 5 juillet 62 où « les gardes mobiles sillonnaient Oran en invitant les habitants à ne plus se terrer chez eux, pensant que le calme était revenu après les premiers troubles ». Elle se souvient qu'elle était sortie rejoindre son fiancé. Que son père aussi avait quitté l'appartement du ISP 10. Elle se souvient des tirs, des lynchages. Elle se souvient de l'armée française sous les ordres du général Katz, confinée dans les casernes, refusant d'intervenir sans un ordre de Paris qui ne tomba jamais des lèvres du général De Gaulle. « II y a eu non assistance à personne en danger... » clame le couple Pinto-Ezagouri en demandant réparation.

Elle aussi fut arrêtée puis libérée par un commandant de l'ALN (Armée de Libération Nationale) « qui me connaissait de vue parce qu'il était du quartier ».

Viviane et Henri ne reverront plus le quartier de leur jeunesse. Pour eux, c'est comme si la mort avait frappé une seconde fois, après quarante-deux ans. Le travail de deuil ne commence qu'aujourd'hui. Long. Comme si c'était arrivé hier.

François Rosso


 
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