Viviane Pinto-Ezagouri a appris par courrier, sans préparation,
sans un mot de condoléances ni de réconfort, les circonstances
terrifiantes de la mort de son père, le 5 juillet 1962, à
Oran. Le voile est levé sur les archives. Elles méritent
d'être maniées avec précaution.
1/6/1963 - Oran : « Probablement égorgé, cadavre jeté
dans le four d'un bain maure (témoin européen anonyme).
»
C'est en recevant le 24 août 2004 ce rapport établi le 21
août 1963 par les délégués du Comité
International de la Croix-Rouge, que Viviane Pinto-Ezagouri s'est vue
confirmer la mort de son père, enlevé il y a 42 ans à
Oran, lors du massacre du 5 juillet. Les détails en plus.
Adressé par le ministère des affaires étrangères
- qui, sous la pression des familles des disparus et de la mission interministéielle
aux Rapatriés, commence à lever le voile sur ces dossiers
ce courrier a fait une irruption traumatisante dans la vie de ce
couple d'Oranais, installé à Marseille depuis 1962. Froid
comme une circulaire administrative, sans un mot de condoléances
pour l'accompagner. Si, comme beaucoup de rapatriés aujourd'hui,
Viviane et Henri entretenaient le projet de retourner à Oran, tout
a pris fin le 24 août dernier à la lecture des constatations
des délégués du CICR.
C'est pourtant Viviane qui informée de la possibilité d'accéder
aux archives, avait sollicité par courrier le Quai d'Orsay, pour
connaître enfin la vérité sur la disparition de son
père dont elle n'a « jamais fait le deuil ». Un mois
plus tard, elle recevait une lettre linformant qu elle trouvera
« ci-joint copie des documents conservés à Paris ».
Suit lhabituelle formule de politesse. « Ci-joint... »
c'est la terrible formule « probablement égorgé...
» qui répond enfin à 42 années d'interrogation.
Viviane revit ce jour terrifiant. « On allait de bureau en bureau,
de l'hôpital à la morgue dans l'indifférence générale,
on nous empêchait d'accéder au stade où étaient
parqués les prisonniers, souvent blessés. On avait face
à nous un mur de béton... » rappelle Viviane Pinto-Ezagouri.
Elle errait alors à la recherche de son père, Joseph Pinto,
représentant de commerce, qui avait quitté l'appartement
familial du 10 de la rue Léon-Djian, tourné à droite,
et n'était Jamais revenu.
Aujourd'hui, selon ce même rapport, elle apprend que l'enlèvement
a eu lieu à 15 h 30 à hauteur du 18. Gaston Pinto, l'oncle
de Viviane, son frère Wilfrid, établi désormais à
Cagnes-sur-Mer, avaient tout de même réussi à porter
plainte et à signaler la disparition. Pour savoir. En vain.
En 1970, la famille Pinto a même reçu un courrier officiel
indiquant : « aucune trace de votre père. » 42 ans
plus tard, la réponse arrive. Viviane Pinto s'effondre.
Elle ne croyait pas au miracle. Mais ce rappel brutal des faits la terrasse.
Elle crie sa peine au ministère qui reconnaît que la manière
n'était guère appropriée. « Mais sans plus.
Ils ne se sont pas rendu compte combien ça pouvait faire mal »
dit-elle.
Il faut un psychologue
A notre connaissance, il ny a pas eu dautres courriers de
ce type. Cest déjà un de trop, même au regard
des 3192 noms recensés et annoncés aujourdhui au Quai
d'Orsay, après des années d'atermoiements. Au congrès
de l'ANFANOMA, le 25 septembre dernier, à Pierrelatte, un représentant
du ministère a évoqué une erreur en précisant
qu'un « psychologue devrait préparer les personnes concernées
à recevoir pareils documents d'archives. »
« Depuis je pleure... » lâche Viviane Pinto-Ezagouri,
rencontrée à la Maison des Rapatriés de la rue Paradis,
à Marseille. Elle pleure et se souvient de
'cette terrible journée du 5 juillet 62 où « les gardes
mobiles sillonnaient Oran en invitant les habitants à ne plus se
terrer chez eux, pensant que le calme était revenu après
les premiers troubles ». Elle se souvient qu'elle était sortie
rejoindre son fiancé. Que son père aussi avait quitté
l'appartement du ISP 10. Elle se souvient des tirs, des lynchages. Elle
se souvient de l'armée française sous les ordres du général
Katz, confinée dans les casernes, refusant d'intervenir sans un
ordre de Paris qui ne tomba jamais des lèvres du général
De Gaulle. « II y a eu non assistance à personne en danger...
» clame le couple Pinto-Ezagouri en demandant réparation.
Elle aussi fut arrêtée puis libérée par un
commandant de l'ALN (Armée de Libération Nationale) «
qui me connaissait de vue parce qu'il était du quartier ».
Viviane et Henri ne reverront plus le quartier de leur jeunesse. Pour
eux, c'est comme si la mort avait frappé une seconde fois, après
quarante-deux ans. Le travail de deuil ne commence qu'aujourd'hui. Long.
Comme si c'était arrivé hier.
François Rosso
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