...Rappelons qu'Alger, qui s'était livrée les 2 et 3
juillet à une inimaginable liesse populaire, avait dû se
soumettre à un strict couvre-feu pour éviter tous débordements,
mesure bien utile et approuvée des autorités. (Farès
et Ben Khedda).
Jamais ni l'Histoire, ni la vérité, ne rapporteront un tel
fait à Oran dans une situation autrement grave car de cette manifestation
d'apparence festive, que nous vous avons décrite et qui n'était
que le paravent des horreurs, est sorti, minutieusement conduit, l'odieux
pogrom encore occulté quarante ans après. Au moment où
s'est produit cet holocauste, il fut interdit à la presse française
d'en faire le rapport, bien que la presse internationale, elle, en ait
fait état. Aujourd'hui, quarante ans après, les braves journalistes
et historiens français commencent à peine à en parler,
du bout des lèvres, et encore pour n'en donner que des versions
tronquées, réduites, inexactes.
Les premiers coups de feu sur la foule de la place d'Armes ont été
entendus vers 11 h. 30, en même temps que d'autres, en divers lieux,
ce qui atteste bien un guet-apens. Ce fut, dès lors, un feu nourri
venu de tous les coins, le reflux de milliers de musulmans vers leurs
quartiers aux cris de « O.A.S. assassins! » alors que les
derniers commandos de cette organisation avaient évacué
la ville depuis plus d'une semaine et ne pouvaient, en aucun cas, être
tenus pour responsables. Dans cette indescriptible cohue, au milieu de
ces tirs nourris et incontrôlés où de nombreux musulmans
étaient déjà atteints, la colère et la malédiction
enflaient à vue d'oeil. Les premiers Européens rattrapés
dans la rue, au restaurant, sur le seuil de leur porte, furent lynchés,
poignardés, taillés en pièces. L'horreur était
là, telle une hydre rampante, à s'emparer de la ville sillonnée
de camions et de voitures pour charger hommes, femmes et enfants, conduits
nul ne sait où, du moins lors des rapts car l'atroce vérité
devait éclater peu après. " Les victimes ? Mais que
dire de tant de victimes, les morts qu'on identifiait, d'autres méconnaissables
et les enlevés qui devaient devenir les « disparus »
et dont, neuf fois sùr dix, on ne retrouva jamais la trace, pas
plus que celle de tant d'autres. enlevés en Oranie, sur ordre,
par centaines et dont, en France, nulle autorité ne s'est jamais
réellement préoccupé, se contentant de distribuer,
à quelque temps de là, d'incontrôlables avis «
présumés » de décès ? Sur cette tragique
journée, que certains ont voulu croire seulement inspirée
par la folie sanguinaire d'une horde d'enragés gagnés par
l'hystérie du meurtre alors qu'elle était -nous le dirons
p.lus tard -de toute autre inspiration, nous avons recueilli toutes sortes
de témoignages, assez pour établir, sans complaisance, l'historique
de ce drame, lequel met largement et directement en cause l'inertie des
autorités civiles et militaires françaises, ceux qui ont
opté pour l'obéissance et l'avancement plutôt que
pour le secours à ces centaines d'innocents dont ils regardaient
paisiblement trancher la tête! Sans vouloir faire le procès
d'une Armée française qui perdait là ce qui lui restait
d'honneur, on pourra toujours s'étonner de constater que ses hommes,
des Français, ont assisté à ce pogrom comme on regarde
une corrida !
De ces témoignages, nous allons vous livrer le plus vrai, le plus
émouvant aussi car il nous vient d'un prêtre, d'un homme
de Dieu en la parole duquel nous avons foi, le Père Michel de Laparre
que nous avons retrouvé, le 10 mai dernier au Congrès VERITAS
: « quand, vers midi, commença, place Foch et dans les grandes
artères de la ville, l'impitoyable chasse aux Blancs, on a pu voir
les Arabes, mauresques incluses, tirer de leurs costumes de fête
les couteaux pour l'égorgement. Rue de la Bastille, certaines victimes
seront dépecées dans leurs boutiques. Les Pieds Noirs furent
inexorablement massacrés dans les rues du centre ville cinq heures
durant, sans que l'Armée française, ni les Gardes Mobiles
pourtant casernés dans le voisinage, n'interviennent. Nul n'intervint
pour fermer les entrées d'Oran, laissant venir à la mort
-et quelle mort ! -des familles entières qu'un seul Garde ou soldat
aurait pu sauver! Nous qui étions là, et qui y sommes restés
ensuite, nous avons pu, sans faire d'enquête, entendre assez de
doléances et confronter assez de témoignages pour voir apparaître,
bien évidente, la carence voulue par les Forces françaises
de l'Ordre dans une non-assistance caractérisée qui souligne
encore l'immense responsabilité de la France dans cette journée
du 5 juillet 1962 qui a fait tant d'innocentes victimes françaises
!... ».
A nous d'ajouter: un tel holocauste, une aussi horrible Shoa, et jamais
l'ombre de la moindre commémoration! Il faudra faire vivre la mémoire
de ce pogrom et perpétuer la honte de tous les lâches qui
l'ont permis, y compris ceux qui feignent encore de l'ignorer ! Cette
tragédie, que tant d'hommes compromis voudraient voir effacer,
ne sera pourtant pas de celles qui s'évaporent au fil d'une Histoire
honteuse, elle aussi, et qui se cache toujours la face afin que nul n'en
remarque l'hypocrite laideur.
Cette histoire-là a sa marque de fabrique, lamentable et fausse
parce que gaulliste et, par conséquent, minable. Néanmoins,
cette montagne de mensonges et de dissimulations accumulés
est colportée partout, avec quelque succès, ce qui nous
déchire et que nous déplorons. Oublions-la, pour donner
toute son ampleur à l'autre, à l'Histoire, la vraie, celle
qui s'enracine parce qu'elle a pour souche la vérité des
faits et ces faits - si cruels soient-ils - ne peuvent relever que de
témoignages de bonne foi sur lesquels les rédacteurs de
VERITAS engagent leur honneur. Oui, leur honneur, et, à notre sens
à nous, l'honneur est la qualité première de cet
outil que nous avons mis au service de la seule vérité pour
défendre la plus juste et la plus noble des causes.
Et, sans cesse, nous revient en mémoire cette réflexion
si pertinente de Georges Bernanos, que nous avons faite nôtre: «
Ce monde a tout ce qu'il lui faut et il ne jouit de rien parce qu'il manque
d'honneur! Le fort et le faible ne peuvent évidemment yivre sans
honneul; mais le faible, lui, en a plus besoin qu'un autre! ». Nous
reconnaissons que nous faisons partie de ces faibles dont jamais la voix
ne portera assez loin. C'est pourquoi nous mettons notre honneur devant
elle car, comme le notait, avec justesse, Alfred de Vigny: « La
religion de l'honneur a son Dieu toujours présent dans notre coeur.
»
Voilà maintenant plus de quarante années que nous énonçons
les vérités les plus essentielles sur tant de drames auxquels
nous voudrions rendre leur dimension historique, jalonnée du sang
des nôtres et nous nous posons, encore et toujours, cette lancinante
et douloureuse interrogation: « Avons-nous bien mis toutes nos forces
dans ce combat ? Quelle a été la vraie portée de
notre voix qui couvre si peu le tapage médiatique de ceux, bien
plus nombreux, qui n 'ont jamais cessé de nous combattre par le
mensonge, de nous étouffer, de nous bâillonner parce qu'eux
ne se sont jamais souciés d'avoir une religion d'honneur ? »
On dit volontiers que nous nous attardons trop sur la hideur d'une page
de l'Histoire de France qui s'effacera, d'elle-même, avec le temps
comme se sont dissous bien d'autres revers et les drames qu'ils portaient
en eux...
Sauf que nous sommes les victimes, encore en vie, de cette page d'Histoire
tellement hideuse et déshonorante pour notre pays et c'est bien
pour cela qu'elle nous est insupportable, tant l'injustice des faits nous
révolte, après nous avoir brisés. C'est sur ce constat
que l'équipe de ce journal -qu'on ne fera pas taire -puise toujours
la force de mener ce combat d'autant plus juste qu'il n'a de sève
que la souffrance et le sang des nôtres, tous ces innocents et ces
justes dont nous ne pouvons accepter l'oubli.
Georges-Emile PAUL
*VERITAS dispose d'un témoignage écrit. Katz a bien téléphoné
à De Gaulle qui a ordonné: " Surtout, ne bougez pas!"
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