PARIS-MATCH

Un reporter de Paris-Match

Oran: C'est sur nous qu'ils tirent! par Serge Lentz texte extrait du Paris-Match n°692, du 14 juillet 1962


5 juillet. 11 h
Le sirocco s'est levé, depuis quelques minutes et, bien que nous roulions sur la route de Tlemcen à Oran à plus de 100 à l'heure, l'air qui nous fouette est brûlant. A la sortie d'un petit village écrasé de chaleur, nous sommesarrêtés par deux soldats de l'ALN qui portent des mitraillettes tchèques en travers de la poitrine. Lun d'eux s'approche, entre sa tête dans la voiture et avec un grand sourire nous serre la main à tour de rôle; nous repartons.

12h20 -Dans les faubourgs d'Oran, autre barrage. Brusquement, il n'est plus question d'amabilité. Un soldat de l'ALN ouvre ma portière avec violence, et me fait littéralement tourbillonner hors de la voiture. Là, il me pose sa mitraillette sur le ventre pendant qu'un autre me fait lever les bras et me fouille de la tête ( aux pieds. Mon collègue Biot, se fâche: -Enfin, qu'est-ce qui vous prend ? Nous sommes journalistes. Aussitôt, changement d'attitude. La mitraillette s'abaisse: -Il y a eu des coups de feu devant la mairie m'explique le soldat. Il y a beaucoup de blessés et beaucoup de morts; ça tire encore en ce moment. Nous sommes stupéfaits. Je demande: -Oui a tiré ? - C'est l'OAS, bien sûr. Au loin, nous entendons crépiter des coups de feu ponctués d'explosions.

. 12h50 -Nous roulons au pas. Notre hôtel n'est qu'à 500 mètres, mais il me semble qu'il nous faudra des heures pour y parvenir. Autour de nous, des soldats musulmans embusqués dans les porches des maisons tirent à l'aveuglette.

.12h55 -Nous embouchons le boulevard du 2e Zouaves. Une mitrailleuse lourde se déchaîne, puis une autre. Nous restons paraIysés. Puis, brusquement, je réalise et je me mets à brailler: -Mais, bon sang, c'est sur nous qu'ils tirent! -Marche arrière, crie Biot. La voiture bondit en arrière dans un hurlement de pignons. Nous virons à toute allure, en marche arrière. Je bloque les quatre roues, moteur calé. Nous nous précipitons vers un porche. Tout cela n'a pas duré plus de cinq secondes. Nous n'avons pas le temps de souffler. -Haut les mains ! Nos bras jaillissent vers le ciel. Je crie: -Nous sommes journalistes. Lautre (un ATO à mitraillette) se fige aussitôt et nous exécute un irréprochable «présentez armes».

13h -L'ATO est monté sur le capot de la voiture et nous dirige vers le Commissariat central: -Là-bas, vous serez en sécurité, dit-il. En fait, à peine arrivés, nous nous retrouvons tous à plat ventre sous les balles qui viennent d'on ne sait où.

13h20- Nous avons trouvé refuge dans une caserne de zouaves... Un cadavre est écroulé devant la porte de la caserne. C'est un musulman que d'autres civils musulmans ont poursuivi jusqu'ici. Avant même que les zouaves aient eu le temps d'intervenir, le malheureux a été abattu d'une balle de revolver, puis achevé à coups de crosse et à coups de couteau. Le corps n'a plus rien d'humain. La tête est à moitié arrachée.

14h -A l'abri dans la caserne, nous montons sur la terrasse et, à la jumelle, nous regardons ce qui se passe: les voitures fouillées, les ambulances de la Force locale qui passent, hérissées de mitraillettes. Vers le quartier Saint-Eugène, un vacarme énorme se déclenche. Mortiers, grenades, mitrailleuses lourdes, tout y passe. Une demi-heure plus tard, on tire toujours à Saint-Eugène. De notre côté, les choses semblent calmées. A la jumelle, je vois deux soldats français fouillés par des civils musulmans en armes.

15h -Un capitaine qui commande un détachement de zouaves a réussi à faire libérer les Européens retenus prisonniers par les ATC au Commissariat central.

15h15 -Je vois une longue colonne d'Européens qui remontent la rue, plus de quatre cent. Les visages sont durs, fermés, certains tuméfiés. La colonne est silencieuse. C'est un spectacle poignant. A 15h30, les tirs se sont tus.

17h30 -Les rues sont désertes. Le lendemain, on cherche des explications. Quel est le bilan ? Comment la fusillade a-t-elle démarré ? Sur les causes de la fusillade, il court deux versions différentes. On parle, bien sûr, d'une provocation OAS, mais cela semble peu vraisemblable. Il n'y a plus de commandos, ou presque, parmi les Européens qui sontdemeurés à Oran... On parle aussi de règlements de comptes politiques entre musulmans. Or, on raconte en ville que, durant la nuit du 5 au 6, nombre de musulmans ont été collés au mur en ville arabe et fusillés. On ajoute que parmi eux, il n'y avait pas que des pillards. Ceci tendrait donc à confirmer la thèse du règlement de comptes. Peut-être s'agit-il tout simplement d'un coup de feu lâché par inadvertance ou par enthousiasme par l'un de ces nombreux jeunes musulmans qui étaient descendus en ville avec un revolver passé dans la ceinture ? Déjà au soir du 1 er juillet, on dénombrait un grand nombre de morts et de blessés en ville musulmane, morts et blessés simplement victimes de fantasias.

Ce qui est certain, c'est que cette fusillade fut le résultat d'une crise d'hystérie collective durant laquelle les coups de feu partirent dans tous les sens. Un autre élément est le fait que quinze cadavres européens qui se trouvent à l'hôpital civil d'Oran, treize ne portent pas de blessures par balle, mais ont bien été tués à coups de couteau. Quant au bilan des morts et des blessés, on ne saura jamais avec certitude ce qu'il en a été. Les victimes musulmanes furent immédiatement emportées en ville arabe et, comme le Coran le prescrit, enterrées le jour même; il est demeuré impossible de faire un dénombrement exact des victimes...

NDLR. Si les coups de feu peuvent être le signe indéniable de tirs contre des maisons ou des véhicules ou d'exécutions d'Européens, les bruits d'armes lourdes, comme mortiers ou mitrailleuse, cités par plusieurs témoignages, concernent autre chose... On sait que des postes de garde de l'armée française, comme celui de la gare, ont riposté à des attaques de la part de quelques musulmans; on n'a pas de témoignages qu'ils aient utilisé des armes lourdes, dont ils n'étaient pas munis. S'il y a eu des règlements de comptes entre factions de l'ALN, ou entre l'ALN et des bandes incontrôlées, les autorités algériennes se sont bien gardées d'en faire le commentaire...


l'agonie d'Oran tome II, pages 147 à 149
 
 

Qui se souvient de cette photo?


Je consulte le site de Geneviève de Ternant, et je découvre, entre autres témoignages, les photos du reporter de Paris Match n° 692 du 14 juillet 1962: les photos de la page 37 et de la page 38.

Il y a également sur la page 39, la photo que je vous transmets et que je vous demande d'ajouter, car je suis la jeune fille assise dans une salle de classe, en proie à une crise de nerfs.... Je vous demande de bien vouloir faire paraitre cette photo sur votre
site car je coudrais lancer un appel: Dans la salle de classe on ne voit qu'un monsieur assis parterre, en proie à un profond chagrin, et une jeune fille en pleurs, or il y avait, au moins une dizaine d'autres personnes dans la classe. " Nous avons été amenés dans cette école vers 18 heures, en GMC de l'armée française, après avoir été libérés ( du commissariat cantral? à vérifier) où nous étions détenus en otages par les nouveaux maitres de l'Algérie. (un officier français a du parlementer de longues heures pour
obtenir notre libération). Qui se souvient de cet épisode de la journée du 5 juillet 1962 à Oran?...
Les deux reporters de Paris Match étaient du voyage. Dans la classe, les militaires qui nous avaient amenés, ont apporté une caisse de boissons et ont essayé de nous réconforter, puis nous ont demandé notre adresse et nous ont conduits jusque devant notredomicile.

Qui se souvient de cette photo?
( Mon témoignage a paru dans l'Agonie d'Oran tome 3 de Geneviève deTernant ).
Mme Fernandez.
 
Photos parues dans Paris-Match n° 692 du 14 juillet 1962
 
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