Nos
Ancêtres
en souvenir de nos aïeux, les pionniers d'Algérie |
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Ma cousine, en sa cave, a trouvé, l'autre jour, deux gros anciens albums de photos de famille. Notre aïeule apparaît, gracieuse jeune fille, et le notaire altier, culotté de velours. Au crayon, griffonnés, des noms qui n'ont plus cours: Léopoldine, Agathe, Amédée ou Camille... Gibus à huit reflets, amples robes à quille, sous ces larges chapeaux qui devaient peser lourd... Et ces hommes sans peur, ces femmes de courage, c'est eux qui ont osé le périlleux voyage vers la terre inconnue où tant d'espoir a luit... Ils posent sans sourire, en leurs habits de fête, attendrissants et beaux, des rêves plein la tête... Mais en terre étrangère ils dorment aujourd'hui. ********* Ils dorment aujourd'hui d'un sommeil agité, car il n'est pas de place, et même au cimetière où vous garde du vent ni le marbre ou la pierre lorsque passe l'hiver et que flambe l'été. Sous la dalle rompue où chaque nom s'efface et sur la terre aride où leurs os sont jetés, ils guettent la Toussaint, quand les fils de leur race les bras chargés de fleurs, en priant s'arrêtaient. Mais l'herbe pousse drue et la seule visite est celle des moutons qui la viennent brouter. Est-il vrai que trente ans ont passé sur ce site? Mais trente ans ne sont rien face à l'éternité. |
Les pionniers morts sont las de tant de sacrilèges. Mille âmes ne font plus qu'une âpre volonté, et voici que les os épars soudain s'agrègent, drapés dans un lambeau de drap déchiqueté. Les morts abandonnés, en terrible cortège s'en vont par les chemins d'ancienne loyauté. Leurs yeux creux ne croient pas l'étrange sortilège qui semble avoir frappé de sa calamité. Ils visitent les douars, les villes, les villages: Partout règne la mort et la stérilité. Il semble que l'instinct cruel des premiers âges ait réduit cette terre à la bestialité. Mais alors, étendant une main squelettique, chacun d'eux reconnu son bourreau hébété, et se voyant vengé, un grand rire hystérique de talweg en djebel ne peut plus s'arrêter. De Cherchel, Tipasa, les stèles mutilées répercutent l'écho de cette hilarité. Parmi le rocher rouge et les mortes vallées, sur les champs calcinés, il roule sans gaieté. Soudain, fous de douleur, se sont tus les fantômes. Quittant ce sol souillé par trop d'atrocité où leur fut disputé jusqu'à leurs derniers sommes, le lent cortège va se noyer au Léthé. Geneviève de Ternant Juin 1999 |